L'association critique du droit
« En 1975, quelques jeunes universitaires en poste à Lyon ou originaires de l’université lyonnaise, critiques à l’égard de la « science » et de l’enseignement du droit dans l’Université française, soucieux aussi d’approfondir une compréhension du droit et de l’État sollicitant notamment le marxisme – tous n’ont pas la même sensibilité sur ce point - entreprennent de réfléchir collectivement. Le groupe est réduit : Jean-François Davignon, Philippe Dujardin, Jean-Jacques Gleizal, Claude Journès, Jacques Michel, publicistes ou politologues, et Antoine Jeammaud, privatiste. D’abord rapprochés, depuis 1968 pour les plus âgés, par une expérience syndicale commune et très minoritaire au sein de la Faculté de droit et de l’Institut d’études politiques de Lyon, ils sont majoritairement en emploi précaire. Les divergences politiques, entre eux, sont avérées. Mais la volonté de conduire un travail collectif fonde l’entreprise, dont le thème d’un séminaire d’avril 1975 – « Une science du droit est-elle possible ? » - confirme la nature. Ce groupe se dote bientôt d’une revue, Procès. Cahiers d’analyse juridique et politique, publiée par le Centre d’épistémologie juridique et politique de Lyon 2 créé pour servir de cadre à ses activités.
En 1976, l’éditeur François Maspero publie Une introduction critique au droit de Michel Miaille, d’inspiration ouvertement marxiste, et plutôt althussérienne comme en témoigne le recours aux concepts d’«appareil idéologique d’État» et d’«instances». Cet ouvrage est issu d’enseignements dispensés à partir de 1971 à l’Université d’Alger par ce jeune agrégé de droit public, ensuite revenu à l’Université de Montpellier. Les liens d’amitié noués en Algérie avec deux membres du noyau constitué à Lyon allaient favoriser une rapide jonction. Dès 1977, M. Miaille et trois assistants publicistes montpelliérains se joignent au groupe lugduno-stéphano-grenoblois, rejoint la même année par Evelyne Serverin, récemment recrutée comme chercheuse contractuelle à l’Institut d’études judiciaires de Lyon III. Dans le même temps, et à partir aussi de contacts personnels, le groupe s’élargit à des universitaires de Nice (Laurence Boy, Robert Charvin, Gérard Farjat, Antoine Pirovano…), Angers (Michel Jeantin, qui allait bientôt rejoindre Orléans, puis Paris X), Toulouse (Jacques Poumarède), puis établit des relations avec des collègues parisiens (Gérard et Antoine Lyon-Caen, Géraud de la Pradelle, Jacques Chevallier, Danièle Lochak, etc.).
La constitution d’une association allait faire écho à une proposition de F. Maspero, inspirée par l’excellente diffusion du livre de Miaille : créer, en coédition avec les Presses universitaires de Grenoble et sur le modèle de leur collection commune « Intervention en économie politique », une collection « Critique du droit ». La décision de donner suite à cette proposition est prise en mars 1977. « Critique du droit » devient le nom d’une association, destinée à servir de support institutionnel à cette collection et à animer les débats autour des projets d’ouvrage et ouvrages, des articles publiés dans Procès ou d’autres travaux.
Deux sont maîtres de conférences agrégés : J.-J. Gleizal, chargé de cours de droit public à Lyon II, agrégé en 1974 et nommé à l’Université Grenoble II ; A. Jeammaud, assistant de droit privé à Lyon III, agrégé en 1975 et affecté à l’Université de Saint-Etienne. Les autres sont doctorants et assistants.
D’où l’impression que M. Miaille avait « fondé le mouvement de la Critique du droit » (J. Carbonnier, op. cit., p. 127) . Notre expérience a plutôt été celle d’une fondation collective, à partir du groupe constitué à Lyon. »
Source : A. Jeammaud, A. Serverin « DU MOUVEMENT « CRITIQUE DU DROIT » À LA RECHERCHE CRITIQUE SUR LE DROIT » Contribution aux Mélanges en l’honneur de Loïc Cadiet (comité éditorial sous la direction de Soraya Amrani-Mekki et Thomas Clay), à paraître aux éditions LexisNexis en mai 2023