Professeur de Droit public à l’Université de Rome « La Sapienza », Marco Benvenuti explique avec minutie comment le Mouvement Critique du Droit, né en France dans les années 70, a pu présenter (et perdure d’ailleurs d’une certaine manière encore aujourd’hui) des points communs avec un certain courant de la pensée juridique italienne qui s’est alors tout particulièrement intéressée à son évolution et à son contenu de sorte qu’il existe un véritable regard italien sur le Mouvement critique du Droit. L’une des raisons qui ont conduit les chercheurs italiens à y prêter attention tient à ce que ce Mouvement proposait une nouvelle manière d’envisager le Droit qui consistait, comme l’explique l’auteur dans une reconstitution détaillée des axes structurant de ce courant, à considérer l’ordre juridique comme « un point de départ et non comme un aboutissement pour atteindre des équilibres plus aboutis sur le plan politique, économique et social ». Ici se situe, selon l’auteur, le point d’ancrage avec la doctrine juridique progressiste italienne contemporaine de l’époque qui organise d’ailleurs dès 1973 un colloque sur l’ « usage alternatif du droit » en référence audit courant de pensée français. La pensée promue par le Mouvement critique du droit a ainsi été inspirante en Italie. En effet, l’ouvrage fondateur, Une introduction critique au droit, écrit en 1976 par M. Miaille, a été le seul à faire l’objet d’une traduction en italien en 1979 et d’une introduction effectuée par C. Donati, laquelle revêt selon Marco Benvenuti, un intérêt tout particulier en ce qu’elle intègre des éléments d’actualisation significatifs. Ce même auteur, C. Donati, prolongera d’ailleurs dans son Dizionario critico di diritto de 1980 la diffusion, en Italie, du courant de pensée critique sur le droit. Mais, comme le fait ressortir l’auteur au travers de plusieurs exemples, le Mouvement critique du droit a connu également un rayonnement international dans la mesure où il a été traduit dans plusieurs autres langues comme l’arabe, le portugais, le grec, et l’espagnol, avec une forte audience en Amérique latine. Car ce courant de pensée interpelle Marco Benvenuti : il le considère comme étant original à plus d’un titre. Cette originalité s’exprime, en premier lieu, au travers de l’origine géographique de ses membres avec des chercheurs originaires non pas du milieu parisien mais du centre de la France comme Saint-Etienne, Lyon, Grenoble. Ensuite, ces chercheurs, s’ils sont tous des juristes, revêtent un positionnement académique qui couvre une palette très large des disciplines du droit avec des privatistes, des publicistes ou encore historiens du droit, mais sans qu’aucuns d’eux, comme le relève l’auteur, ne soient des théoriciens « purs ». Enfin, une autre spécificité et non des moindres pour l’auteur, concerne les modalités de travail, essentiellement collectives, qui se matérialisent dans des séminaires. Au départ informels, ils se sont institutionnalisés avec, notamment, le séminaire se tenant au château de Gouttelas (près de Saint-Etienne) dont le premier s’est tenu dès 1978. Ce type de rencontre a d’ailleurs été non seulement une manière de développer la pensée critique sur le droit, que Marco Benvenuti rattache d’ailleurs à une conception marxiste du droit voire à une conception anti-positiviste, mais aussi à faire le lien avec la formation des jeunes générations. En effet, et c’est un point sur lequel l’auteur attire l’attention : le Mouvement critique sur le Droit n’est pas un courant de pensée replié sur sa propre réflexion, il s’inscrit dans une dynamique de transmission au travers de l’enseignement universitaire. Cela est d’autant plus significatif qu’il ne s’agit pas uniquement d’une pensée théorique en ce qu’elle comporte également une dimension pratique. C’est en cela que pour Marco Benvenuti il existe ici un lien conceptuel avec le mouvement italien sur l’« utilisation alternative du droit » qui, tout comme le Mouvement critique du droit en France, a pour objectif de proposer une « critique théorique et pratique de la raison juridique » (M. MIAILLE). Alors certes, l’auteur constate que ce courant de pensée n’a peut-être plus la dimension d’autrefois du fait de l’évolution des sociétés. Cependant, en tout état de cause, l’étude de ces courants de pensée, de type progressiste, garde une acuité particulière pour comprendre le droit autrement des deux côtés des Alpes.