Cent ans après la mort de Marx devrait-on voir dans son antijuridisme le maillon le plus faible de sa pensée ? En dépit de sa clarté une thèse comme celle du dépérissement du droit n'est-elle pas ambiguë voir incertaine, pire, démentie par l'histoire ? Par ces interrogations, légitimes, certains s'autorisent d'une part à contester la validité scientifique de la théorie marxienne (quel destin que celui des pays de l'Est !), d'autre part à douter de sa valeur morale en regard de l’État de droit par lequel le libéralisme a écarté les formes violentes de domination.En réalité une telle position oublie que le rejet du droit est chez Marx minutieusement produit et qu'il ne se comprend qu'à être restitué dans l'ensemble de son système, l'examen des textes montrant une préoccupation constante de l'auteur à l'endroit de l'instance juridique. De la négation, tôt formulée, des présentations philosophiques du droit à la condamnation fameuse dans la Critique du programme de Gotha, Marx interroge le statut idéologique de la division droit public/droit privé. En fonctionnant sur le mode du comme si... tous les individus étaient égaux et libres la société civile s'assure une présentation politico-juridique qui lui garantit de demeurer bourgeoise. La critique marxienne va alors assigner au droit et au politique une place et une fonction précises : ils sont les conditions de possibilité d'un mode de production qui, irrationnel en lui-même, s'exprime grâce à eux rationnellement. Il devient alors rationnel que, historiquement, la subjectivité juridique cède la place à la subjectivité concrète du travailleur. C'est cette intervention du concret au niveau de la régulation sociale qui, en pervertissant la forme juridique, fonde chez Marx la thèse du dépérissement du droit. Certes en sa qualité de travailleur l'individu demeure compris de manière partielle. Mais n'est-il pas déjà émancipé celui qui peut opposer la qualité de travailleur à celle de sujet de droit ? [4e de couverture]